Décès de Jean-Paul Briand
Nécrologie par Paul Indelicato (Directeur de Recherche au CNRS, Laboratoire Kastler Brossel)
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J’ai rencontré Jean-Pierre Briand pour la première fois en suivant son cours de physique atomique et nucléaire en master, pendant ma première année à l’ENS en 1978. C’était un cours exceptionnel qui m’a marqué dès le premier jour. D’autres anciens, comme Jean Dalibard, professeur au Collège de France m’ont mentionné la même impression.
J’ai fait ensuite le DEA dit Brossel, et lors des séminaires destinés à montrer les sujets d’actualités, Jean-Pierre Briand est venu présenter son nouveau projet de spectroscopie sur les ions lourds à peu d’électrons.
J’avais lu dans le rapport de prospective du CNRS un texte de Claude Cohen-Tannoudji sur l’équation de Dirac à très haut Z, et sur de possibles effets nouveaux sur le vide, et ce projet m’a parlé immédiatement. Je me suis donc porté candidat pour une thèse de troisième cycle avec Jean-Pierre Briand, à l’Institut du Radium et il a accepté. Cette thèse a été effectuée entre 1981 et 1983. Il a ensuite dirigé ma thèse d’état, et je suis entré au CNRS en 1987.
Jean-Pierre Briand a d’abord été un physicien nucléaire, travaillant à l’Institut du Radium dans la suite de Frédéric Joliot-Curie. Il a étudié les isotopes du protactinium et la déformation quadripolaire des noyaux. Il a, entre autres, publié des articles avec Jean Teillac, créateur de l’IN2P3 et futur haut-commissaire au CEA, et Marc Lefort, futur directeur du Grand accélérateur national d’Ions lourds (GANIL) à Caen. Il a ensuite démontré l’existence de spectres continus des particules alpha suite à l’interaction avec les électrons de l’atome.
Jean-Pierre Briand a découvert les transitions X hyper-satellite suite à une transition nucléaire (transition entre des niveaux ayant 2 trous, 1s-2-> 1s-1 2p-1), et a commencé à s’intéresser à la physique atomique.
Jean-Pierre Birand avait proposé de faire des mesures X avec un spectromètre à cristal sur des ions très chargés, ce qui a constitué mes sujets de thèse. On a commencé sur le Tandem-Van de Graff d’Orsay où on a observé des états doublement excités (ma thèse de 3ème cycle).
Puis on a continué à Orsay, sur le cyclotron local avec des faisceau d’ions argon nus, qui capturaient un électron sur une cible solide.
Puis on a migré vers le Lawrence Berkeley Laboratory où nous avons étudié le fer avec DIck Marrus qui était Professeur à l’Université de Berkeley.
On a ensuite étudié le Kr hydrogénoïde au GSI à Darmstadt. Puis on a travaillé sur le Xe et de nouveau au LBL sur l’uranium à 1 et 2 électrons. Tout cela constituait des premières, et a lancé cette activité qui maintenant continue dans le consortium de recherche SPARC qui couvre tous les pays impliqués dans cette physique.
En parallèle, avec Dick Marrus on a fait des mesures de durées de vie d’états métastable dans les ions à deux électrons. Et on a pu montrer pour la première fois le « quenching hyperfine » où les états métastables avaient une plus courte durée de vie à cause du couplage hyperfin entre les niveaux.
Jean-Pierre a aussi été un pionnier à LURE, une des premières machines de rayonnement synchrotron, pour étudier l’effet Raman-Compton.
Il a eu aussi l’idée d’utiliser les Sources ECR de Grenoble et d’étudier leur plasma avec un spectromètre à cristal.
Aussi avec Marc Lefort et Yves Quéré, il a été un des moteurs du démarrage de GANIL à Caen pour y implémenter la physique atomique avec la création du laboratoire CIRIL (https://journals.openedition.org/hrc/746?lang=en)
Jean-Pierre Briand a eu l’idée d’utiliser la source EBIS expérimentale d’Orsay pour faire des mesures pour afin de démontrer les effets de résonance dans la recombinaison d’électronique. Puis il envoya des ions lents sur des surfaces et démontra l’existence d’atomes creux (ou les couches internes sont toutes vides). Ces expériences ont lancé ces thématiques au niveau international (Vienne, Livermore, Stockholm). Il aurait pu faire beaucoup mieux si la France y avait mis les moyens.
Tout cela montre que Jean-Pierre Briand a été un chercheur exceptionnel avec beaucoup de premières à son actif. Il a eu en particulier en 1997 le prix Fernand Holweck de la SFP pour sa découverte des atomes creux.
Il a aussi été Fellow de l’American Physical Society (0.1% des membres) de l’Institute of Physics (Londres)
Il avait fondé l’Unité mixte de recherche “LPAN” (Laboratoire de Physique Atomique et Nucléaire) entre l’UPMC et le CRNS, qui a perduré jusqu’en 1996, année où le CNRS a décidé de la fermer à cause de sa petite taille, et dont il a été directeur jusqu’à la fermeture.
En plus d’être un professeur charismatique, Jean-Pierre Briand a eu un rôle important à l’Université Pierre et Marie Curie, dans la mise au point des enseignements de physique atomique. Il a aussi été membre du comité National du CNRS.
Un moment difficile a été quand en 1987 l’Institut Curie, qui avait absorbé l’Institut du Radium en 1970, a décidé de supprimer la physique fondamentale et la chimie nucléaire de l’Institut du Radium pour ne garder que de la physique à l’interface avec la biologie orientée vers l’étude du Cancer. Malgré la forte visibilité de Jean-Pierre Briand et l’histoire de l’Institut, nous avons dû nous installer à Jussieu. Mais à terme, cela nous a permis de lancer de nouveau projets en interagissant avec d’autres équipes.
Une fois à la retraite, il devenu Professeur émérite de l’Université Pierre et Marie Curie, attaché au laboratoire Kastler Brossel. Il a alors démarré une entreprise pour développer des applications industrielles liées aux modifications de surface par des ions très chargés. Il a continué à travailler à Berkeley et à Livermore pour développer ses idées. Nous avons échangé régulièrement jusqu’à fin 2015.