Commentaire de René Delépine sur O. tauri
Sur la photo, je suis en méditation scientifique et aussi un peu nostalgique du temps qui passe (20 ans déjà !), devant ce « poster » réalisé avec des clichés pris au microscope électronique de Ostreococcus tauri, la plus petite algue (verte) eucaryote connue à ce jour (on parle de picoeuraryote) puisqu’elle mesure moins de 1 micron, présentant donc des dimensions inférieures à certaines bactéries et même certains virus.
C’est une scientifique du laboratoire Arago qui en a co-signé l’acte de naissance officiel évoquant sa découverte dans l’étang de Thau (nom spécifique tauri) et rappelant, pour le nom générique, son abondance dans cet environnement des parcs à huîtres (ostreo) en faisant allusion à sa forme subsphérique (coccus). Cette description princeps, publiée en 1995 dans la revue Phycologia, fit grand bruit dans le monde de l’océanographie. Elle constitue, en outre pour moi, un souvenir marqué de mélancolie puisque j’en pris connaissance alors que j’enseignais justement les algues au Brésil, à l’invitation de l’Université Santa Úrsula de Rio de Janeiro et à l’initiative du regretté Alain Guille, alors directeur du labo Arago, qui avait su organiser une importante et efficace collaboration scientifique entre Banyuls et Rio.
L’apparition au grand jour d’O. tauri tient un peu de l’énigme policière car sa présence a été décelée avant de le découvrir au microscope électronique ! Il fallait en effet justifier l’abondance de chlorophylle, mise en évidence par cytophotométrie de flux, dans les échantillons prélevés alors qu’aucun organisme connu ne pouvait l’expliquer. En fait O. tauri n’était jamais observé car tous les individus … passaient à travers les mailles des filtres utilisés — mais ils furent « piégés » sur des filtres de 0.2 µ et purent, alors, devenir célèbres !
Le laboratoire Arago est un des centres pionniers liés à ces organismes. Il a développé de nombreux projets de recherche impliquant désormais un grand nombre de chercheurs, avec de fructueuses et importantes collaborations nationales et internationales. Ces chercheurs utilisent des protocoles, des technologies ainsi que des méthodes d’analyse des résultats que notre génération était loin de pratiquer. Un programme « otari », clin d’œil à l’O. tauri, a même été initié pour développer une plateforme microalgale en collaboration entre une entreprise industrielle et notre université.
Le genre Ostreococcus compte aujourd'hui quatre espèces. Du fait de leur structure (un exemplaire unique de chloroplaste, de mitochondrie, de Golgi et aussi un seul noyau avec pourtant déjà 20 chromosomes) et de leurs divisions très rapides (qui ont pu être synchronisées, au moins pour O. tauri), ces espèces constituent un matériau scientifique de la plus haute importance au plan biologique, génétique, évolutionniste, physiologique, et appliqué. L’importance de ce modèle a été comparée à celle des levures, si souvent mises à contribution, en particulier dans les études génétiques. Ces organismes du picophytoplancton chlorophyllien photosynthétique sont maintenant connus dans presque toutes les mers du globe et constituent le premier maillon de la chaine alimentaire océanique. On considère qu’ils génèrent 50% de l’oxygène que nous respirons.
La littérature scientifique sur Ostreococcus est déjà particulièrement abondante et concerne beaucoup de thèmes à la pointe de la recherche contemporaine, comme les rythmes de division cellulaire, la production de molécules bioactives, la présence et le rôle de virus parasites intracellulaires ou la génomique avec ses conséquences si importantes quant aux processus évolutifs. En effet, son génome, bien plus simple et compact que celui de la plante terrestre Arabidopsis — choisie comme modèle génétique au plan international — est un atout pour mieux comprendre les processus évolutifs au sein de la « lignée verte de tous les végétaux » dont on admet maintenant que les algues vertes en sont à l’origine.